Le rêve de dépasser les limites de l’humanité, de devenir des hommes « augmentés » remonte au moins au mythe de Prométhée : le don aux hommes du feu et de la technique les arrache à la nature pour les rapprocher des dieux.
Mais si l’idée d’une transcendance humaine traverse l’histoire, le transhumanisme lui-même trouve ses origines dans les années 1930, particulièrement en France où les réflexions sur l’évolution de l’homme prennent à la fois un sens religieux – bien que fondé sur la science – chez Teilhard de Chardin, ou laïc chez Jean Coutrot. Cet ingénieur polytechnicien est un ami de l’écrivain Aldous Huxley, dont le Meilleur des mondes fait écho à de nombreux thèmes transhumanistes, et de son frère Julian, biologiste et premier directeur général de l’UNESCO. Fondateur du Centre d’Etude des Problèmes Humains (CEPH) en 1937, Coutrot est l’un des principaux théoriciens d’une organisation scientifique, rationnelle et technocratique du travail et de la société. La paternité du terme « transhumanisme » est traditionnellement accordée à Julian Huxley, au cours d’une conférence donnée en 1951 et publiée sous forme d’essai en 1957.[1] Selon certains chercheurs toutefois, le terme aurait une existence bien antérieure à son utilisation par Huxley, remontant à une utilisation religieuse[2].
Le mouvement commence réellement à se développer aux Etats-Unis dans les années 1950 et 1960, à la croisée des milieux scientifiques et des penseurs libertaires et libertariens. Dès cette époque, la question des rapports entre l’homme et l’intelligence artificielle s’impose comme un thème majeur, grâce notamment aux travaux pionniers de Marvin Minsky. Il faut attendre cependant les années 1980 pour que la pensée transhumaniste se fasse véritablement connaître du grand public. L’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) devient le lieu central du mouvement, autour de quelques penseurs phares tels que FM-2030, Max More ou Natasha Vita-More. En 1986 est créé le Foresight Institute, premier organisme de recherche à but non lucratif à se consacrer aux nanotechnologies et à la cryogénisation.
En 1990, Max More renouvelle le mouvement en proposant dans ses « Principes de l’Extropie » une définition revisitée du transhumanisme :
« Le transhumanisme est une classe de philosophies ayant pour but de nous guider vers une condition posthumaine. Le transhumanisme partage de nombreuses valeurs avec l’humanisme parmi lesquelles un respect de la raison et de la science, un attachement au progrès et une grande considération pour l’existence humaine (ou transhumaine) dans cette vie. […] Le transhumanisme diffère de l’humanisme en ce qu’il reconnaît et anticipe les changements radicaux de la nature et des possibilités de nos vies provoquées par diverses sciences et techniques. »
En 1998, les philosophes David Pearce et Nick Bostrom fondent la World Transhumanist Association (WTA), organisation non gouvernementale travaillant dans le sens d’une reconnaissance du transhumanisme par les scientifiques comme par les pouvoirs publics. Devenue Humanity Plus (H+) en 2008, elle est aujourd’hui la première organisation transhumaniste à l’échelle mondiale.
Le mouvement transhumaniste se fonde sur un progrès par les sciences, souhaité notamment par le biais de la convergence NBIC, concept apparu dans les années 2000 : il s’agit d’associer les recherches dans les domaines des nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitives. Le principe de convergence s’est peu à peu élargi : on parle par exemple depuis quelques années de convergence CKTS (convergence of knowledge, technology and society), qui introduit une dimension de bénéfice social des avancées technologiques, ou encore de convergence DIADEH (diffusion de l’intelligence artificielle sur les domaines d’expertise humaine) qui tente de déterminer quelles activités seront transférées aux IA dans les décennies à venir.
A l’heure actuelle, les promesses scientifiques, technologiques et ontologiques du transhumanisme sont de plus en plus étroitement liées à de gigantesques intérêts économiques. Les innovations envisagées génèrent d’ores et déjà des investissements et des profits considérables. De nombreuses entreprises se sont ainsi lancées sur la voie transhumaniste, à commencer par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ainsi que les derniers arrivés, les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber). Google, dont le directeur de l’ingénierie est est Ray Kurzweil, spécialiste de l’intelligence artificielle et cofondateur de la Singularity University, est particulièrement impliqué dans ce domaine. Sa filiale X (anciennement Google X Labs) a par exemple développé la Google Car, utilisant l’IA, tandis qu’une autre filiale, Calico, est spécifiquement dédiée à la lutte contre le vieillissement grâce aux nanotechnologies.
[1] Ibid.
[2] Peter Harrison, Joseph Wolyniak, « The History of Transhumanism », Notes and Queries, Oxford, juillet 2015, pp. 465-467. Disponible sur : https://www.researchgate.net/publication/281298815_The_History_of_'Transhumanism' .
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